10 BPF en Creuse, Haute-Vienne et Dordogne

Et revoilà septembre, le mois que je préfère pour aller glaner des nouveaux BPF sur les routes de France. C’est le temps des vendanges, pas encore automnal mais déjà moins estival, un temps de rentrée des classes et pour moi une reprise appliquée sur des chemins écartés parfois, et qui guident mes roues vers des lieux que je n’aurais sans doute jamais visités sans cette offre ludique, parmi toutes les activités et brevets en tous genres que nous propose notre Fédération.

Comme je l’ai parfois écrit au fil de mes comptes-rendus, les morceaux du puzzle que constituent les départements français sont de plus en plus difficiles à conquérir, car de plus en plus éloignés de mon Hérault natal. Et comme tout puzzle, on cherche d’abord à assembler des éléments accolés. Ainsi en vont mes BPF. Je cherche à compléter des départements ou des provinces déjà entamés. C’est comme cela qu’en ce vendredi matin, nous mettons le cap sur le département de la Creuse, déjà riche de trois tampons que je prolongerai par la visite de la Haute-Vienne, afin d’annexer la province du Limousin, pour finir en Dordogne où seul le site de Brantôme fait défaut sur ma carte de route.

Une nouvelle phase de ma quête BPF démarre, par l’A75 jusque et au-delà de Clermont-Ferrand. Ce n’est qu’à 15h passées que je peux enfin entrer dans le vif du sujet, peu avant Bénévent-l’Abbaye. Une courte mise en jambe pour atteindre, sur mon destrier, ce premier contrôle. Le village ne s’offre pas, il se gagne à la force du mollet, au terme d’une légère montée, après s’être préalablement exposé au regard. Village de Creuse, un  après-midi de septembre. Est-ce une évidence de dire que le silence préside à mon arrivée? En fait, non, des cris d’enfants en récréation me rappellent que la rentrée des classes a bien eu lieu. L’instituteur retraité oscille entre deux sentiments, celui d’une vie oh combien active auprès de jeunes pousses débordant de vie et celui du calme serein d’un esprit tourné vers la découverte et l’envie de jouir pleinement de la vie à sa guise. L’église, en réfection, nous impose ses échafaudages pour le déplaisir de mon appareil photo. Hormis l’école, signe de vie s’il en est, le village semble en léthargie. Est-il vieillissant ? Je pourrais le croire, avec un raccourci un peu cynique,  en constatant que le seul endroit ouvert pour valider mon BPF est la pharmacie.

Ce quatrième cachet creusois obtenu, je repars vers le cinquième, à Anzême précisément. Retour sur la route qui, tout à l’heure, m’a conduit jusque là. Après St-Vaury, je retrouve une route plus conforme à l’idée qu’on  peut se faire de la Creuse, de celles qui laissent vagabonder l’esprit dans une ruralité calme où le stress se dissout imperceptiblement. À certains croisements, deux lettres TL me rappellent que dernièrement s’est déroulé le Tour du Limousin. Je roule sur les mêmes routes que les coureurs cyclistes professionnels et je me dis que la même passion nous habite… à des âges différents. Le vélo nous rapproche et tout se mêle, la jeunesse, la vitesse, le contemplatif, le forçat du bitume et le dévoreur de paysages. Je franchis la ligne comptant pour le Grand Prix de la Montagne. C’est une indication intéressante : à moi la descente sur près de 4 km, en roue libre. Bientôt une côte, puis un hameau, encore une ferme à rafraîchir comme on lit dans les agences immobilières et déjà Anzême. Inutile de chercher un commerce pour le tampon. Il y a bien un bureau de poste, mais fermé. Le point de ralliement c’est souvent l’église, parce qu’un clocher est visible de loin et généralement c’est là le cœur du village avec, jamais bien loin, la mairie et l’école quand elle existe encore.

Bien vu ! Tout y est, l’église, fermée tout d’abord. À travers une petite fenêtre grillagée pratiquée dans la porte, je scrute l’intérieur, sombre, suintant le vieux et l’humidité. Des siècles d’existence assurément. Tout comme l’arbre sur lequel j’ai appuyé mon vélo. Adossée à l’église se trouve la mairie et, le vendredi après-midi, la secrétaire de mairie est…. là. Et monsieur le maire aussi! C’est mon jour de chance et l’occasion de converser, de rencontrer des gens sympathiques à qui j’explique le but de ce brevet. Ils sont heureux de savoir que seuls six sites sont choisis par département, et qu’ainsi, Anzême jouit d’une rare considération départementale. Sur le côté nord, un muret ferme la place de la mairie. Je m’y avance. Juste au-dessous, la route fait un lacet puis passe sur un pont enjambant la Creuse qui a creusé en cet endroit des gorges étroites. C’est par là que je me retire en quittant le village. De part et d’autre du pont, la rivière coule une eau sombre où un pêcheur à la mouche traque la truite. Mais après le pont, comme souvent, la route remonte, traversant un bois.

Tiens, je retrouve mes deux lettres TL et une indication: 3 km. J’ai tout compris, question d’habitude ! Dans 3 km sera jugé le classement pour le Grand Prix de la Montagne. Je n’ai plus qu’à doser mon effort, sûr déjà de passer en tête, faute de concurrence. Montée agréable avec quelques jolis points de vue. Comme prévu, à Champsanglard je franchis la ligne en première position sans avoir eu à forcer mon talent, mais quand même, ça montait. Je n’étais pas trop épuisé, les vaches peuvent en témoigner, ce sont les seules qui m’aient vu. Ici pouvait s’arrêter cette première demi-étape, 3h de vélo et 50 km parcourus pour 2 BPF visités.

Pour ce deuxième jour, j’ai prévu une étape de 120 km pour en finir avec la Creuse et attaquer la Haute-Vienne. Le départ n’est pas matinal vu que le petit déjeuner n’est servi qu’à 8h 30. Hier soir au restaurant nous avons retrouvé, comme en Périgord, la langue anglaise qui s’échangeait entre la serveuse et des tables de couples de retraités épanouis. Le plaisir culinaire et les verres sans cesse remplis (et vidés) se lisaient sur leur face réjouie. Ceux-là n’ont pas dû voter le brexit.

C’est à Crozant que débute véritablement la journée. Je découvre le village depuis le pont sur la Creuse. Il faut y monter par une route qui se glisse sous les arbres, dévoilant au gré des virages les ruines d’un château féodal.

La recherche du tampon encore une fois s’apparente à un jeu de piste. Je rebondis de la boulangerie à une épicerie pour finalement pousser la porte de la mairie ouverte le samedi matin. Ce bourg perché sur son promontoire a vraiment du caractère avec deux centres d’intérêt : la tour et les ruines du château féodal, juchés sur un éperon rocheux, puis le village lui-même avec quelques belles maisons anciennes. De plus son histoire et son passé plaident pour sa renommée. Georges Sand, en compagnie de Chopin, visita le site. Il est vrai que la bonne dame de Nohant venait en voisine depuis l’Indre. Et puis, dans les années 1830, le site, sauvage et majestueux, a su séduire de nombreux peintres si bien qu’aujourd’hui on cite l’école de Crozant comme on parle de l’école de Barbizon et cette portion de vallée est devenue la vallée des peintres.

Il est 10h 30 et j’en ai fini avec la Creuse, l’ancienne province de la Marche ne m’est plus étrangère. Et maintenant le Limousin, direction Le Dorat au nord de la Haute-Vienne. Une soixantaine de kilomètres m’a dit Monsieur le Maire. Paysages de champs, routes peu passagères, troupeaux de vaches, quelques fermes éparses, voilà le cadre dans lequel j’évolue. Malgré l’heure, je pousse ainsi jusqu’à Le Dorat pour espérer trouver un endroit pour se restaurer. Résultat, un petit restaurant ouvert (était-ce le seul?) dans une commune somnolente. Petit repas tout simple à l’arrière d’un jardin clos où nous sommes bientôt rejoints par trois cyclos…anglais. Ils rangent leurs montures dans le jardin, à côté de mon vélo qui a l’air d’un pur sang côtoyant des percherons harnachés de sacoches. Ils viennent de démarrer, à Azay-le-Ferron, un voyage qui les mènera à Biarritz. Différence dans la façon de voyager, mais le même esprit nous rassemble.

Mon prochain objectif n’est qu’à un vingtaine de kilomètres, Châteauponsac. Rien de très particulier à se mettre sous la dent, l’ordinaire en somme. Un itinéraire quasi rectiligne avec un seul village traversé, Droux, et les kilomètres qui défilent jusqu’à l’entrée de Châteauponsac.

 

Je ne m’attarde pas à Châteauponsac que je délaisse par une descente au bas de laquelle je marque une pause. Le village m’apparaît sous un angle différent, vu par le dessous, mais c’est surtout un joli pont de pierre qui motive cet arrêt. Photo bien sûr avant de reprendre la route en montée de l’autre côté du pont.

Si j’ai tracé mon chemin pour joindre Cieux, le prochain BPF, je m’en écarte maintenant pour effectuer un crochet qui va me rallonger. Le lac de St-Pardoux n’est qu’à une dizaine de kilomètres et je l’inclus dans ce BPF.

Ce lac artificiel, dans un cadre verdoyant, est une invite au farniente, à la pêche, à la baignade estivale, aux pique-niques familiaux. Il s’étale sur 330 hectares et me rappelle, hormis les collines environnantes et sa superficie moindre, celui du Salagou près de chez nous dans l’Hérault. Ils se situent sur des terrains riches en uranium et ont à peu près le même âge, nés dans les années 70, à l’époque d’un début de tourisme lacustre. Ils avaient alors un encombrant voisin, la Cogéma. Lac et Cogéma étaient-ils liés? Aujourd’hui, seul le tourisme demeure et le cyclotouriste, entre deux BPF du Limousin, peut en faire le tour sur une magnifique piste cyclable. Ce dont je ne me prive pas évidemment, dans un cadre tellement agréable.

L’après-midi est maintenant bien avancé et j’ai encore du chemin à parcourir pour gagner Cieux, terme de cette étape et troisième BPF de la Haute-Vienne. Finie la route du lac, place à nouveau à des vallonnements, des cultures, quelques villages traversés. Je croise la nationale qui de Bellac mène à Limoges où j’ai retenu l’hôtel pour ce soir. Après Chamboret, je profite de cette heure où le soleil décline, laissant poindre un début de fraîcheur. C’est le calme d’une fin d’après-midi, quand se mêlent la satisfaction du parcours accompli, l’impression d’avoir enroulé dans sa tête un film dont quelques images ressortiront plus tard, le soir sous la lampe, pour coucher sur le papier des souvenirs d’un jour. Est-ce pour cela qu’il me semble que la dernière heure s’apprécie plus, comme pour faire durer le plaisir ? Et du plaisir j’en ai pris dans une dernière côte, en forêt, parce que je savais que c’était la dernière. Il est des côtes où l’on côtoie l’enfer, ce soir là, la mienne m’a permis de monter à Cieux. Et c’est dans un hôtel-restaurant que je reçois un nouveau cachet sur mon carton, moyennant une bonne bière que je savoure en terrasse. Avant de remiser le vélo, je descends jusqu’à l’étang de Cieux où la sérénité plane sur les eaux, comme une évidence pour un village qui porte un tel nom.

Dimanche matin, troisième jour de ce petit périple. Au menu du jour une étape de 110 km de la Haute-Vienne à la Dordogne pour quatre nouveaux BPF. C’est dans la fraîcheur matinale de St-Léonard-de Noblat que je démarre. Comment ne pas avoir une pensée pour l’enfant du pays, Raymond Poulidor ? Ma première interrogation est pour le lieu où il vivait dans ces premières années de cycliste. Si c’est en ville, je comprends qu’il ait acquis très jeune et la force et le punch qui le caractérisaient, car il faut y accéder au bourg, lorsqu’on se trouve au bord de la Vienne et que le clocher de la collégiale se dessine dans le ciel, au bout d’une montée de deux kilomètres.

Après la visite de la vieille ville aux maisons anciennes et de l’édifice, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, c’est par le sud que je quitte la ville. Le petit froid matinal m’incite à revêtir mon coupe vent, mais je dois bien vite me rendre à l’évidence, ces routes limousines n’ont rien d’une promenade paisible en terrain plat. D’entrée la couleur est annoncée. Sitôt redescendu au bord de la Vienne, le route repart vers des vallonnements où des fermes sont implantées, exposant au soleil une manière de prospérité paisible, à travers ces troupeaux de vaches ruminant inlassablement, sans souci du repos dominical, ayant juste un œil tolérant sur un cyclotouriste qui les prend en photo. Sait-on jamais, le salon de l’agriculture et la célébrité ont fait des émules au sein de la race bovine, alors va pour une photo, mais je ne m‘arrête pas de brouter..

Le coupe vent rejoint rapidement une poche de mon maillot. Je transpire un peu mais éprouve surtout ce bien être de sentir mon corps travailler tout en douceur, sur un terrain qui s’offre d’abord à la vue, alimentant ainsi un état d’esprit foncièrement positif. Le plaisir est là, sur des routes inconnues, belles, retorses aussi, variant des passages en sous-bois, des descentes timides, des relances musclées, des villas pimpantes encore plus évocatrices d’un dimanche matin ensoleillé. La montre suit son chemin, la trotteuse trottine et mes jambes moulinent, sans jamais s’agacer de ce relief délicat. Comme dans un reportage du journal télévisé de TF1, le clocher du village sonne 11h quand j’entre dans St-Hilaire-de-Bonneval. Je m’étais arrêté auparavant pour le fixer dans mon appareil photo, détaché dans le ciel, imposant de quiétude, au terme d’une côte plaisante.

Au-delà de St-Hilaire-Bonneval, je croise un axe de communication, autoroute et chemin de fer, rivière aussi, la route descendant d’un côté pour remonter de l’autre et retrouver, sur une quinzaine de kilomètres, ce relief irrégulier, jamais plat. En fait, un panneau m’apprend que je suis la route Richard Cœur de Lion. Et ce jusqu’à Nexon, but de mon deuxième BPF de la journée. Nexon est atteint sur le coup de midi. Il fait beau par une température idéale. Le bourg semble assez grand pour trouver de quoi nous restaurer, donc l’heure est à la tranquillité sous un ciel sans nuage. Je m’attarde au château qui abrite l’hôtel de ville. À l’arrière du bâtiment, se trouve un vaste terrain au fond duquel un chapiteau est dressé. C’est ici que se trouve le pôle national du cirque.

À la sortie du village, nous trouvons notre restaurant où le menu dominical rassemble quelques clients d’un âge affirmé. Nous sommes les jeunes, atypiques, surtout moi avec ma tenue vestimentaire, ce qui, au-delà de quelques regards envieux, nous ouvre la porte d’une conversation avec nos voisins de table. La morale, ou le conseil qui m’est suggéré par un couple d’octogénaires respectables, je le sais déjà, mais j’ai plaisir à le réentendre malgré tout: « vous avez raison, profitez-en, il faut faire les choses tant qu’on peut, le temps passe si vite », tout cela émanant d’un monsieur dont la dignité naturelle inspire le respect. J’ai appris très tôt à écouter les anciens, à un âge où on veut s’émanciper par sa propre expérience.

Je sors de ce restaurant avec la conviction renforcée de profiter et de vivre pleinement tout ce qui se présente sous mes roues, sur les routes de France. Et la route immédiate s’appelle toujours la route Richard Cœur de Lion, je vais la suivre jusqu’à son terme, Châlus où périt le roi d’Angleterre.

Sur cette route, je m’arrête un instant au village nommé Les Cars. Il est situé en plein pays des Feuillardiers où la forêt est principalement constituée de châtaigniers. Mais ce qui m’arrête, ce sont les ruines imposantes d’un château qui nous parlent d’un passé agité, à cheval sur le Moyen-âge et le début de la Renaissance. Les ruines et les guerres sont souvent intimement liées, de même les guerres et les religions. Ce fut le cas ici, les guerres de religion ayant causé ces destructions. Désunion et union se succèdent, l‘inverse aussi, la preuve par cette assemblée de gens que nous voyons, en partance vers un chez eux, un lendemain de noces certainement, où chacun se sépare après un dernier repas allégé et une fatigue d’après fête.

Dimanche, 16h 30, Châlus et la Haute-Vienne pour un dernier signe de la main avant de tourner mon regard vers cette Dordogne que je savoure par petites doses successives. Je l’ai parcourue sous le soleil printanier puis à l’automne mais Brantôme restait à cueillir. Je n’avais pas réussi à l’inclure dans mes précédentes virées ou alors c’est par simple souci de faire durer le plaisir que je la gardais sous le coude. Et c’est un peu comme un moment fort pour mettre fin à cette nouvelle escapade que j’avais conçu mon itinéraire. En tous les cas, je roule maintenant avec la satisfaction et le plaisir de l’objectif atteint, trois jours sur des routes où le Massif Central ne fut jamais bien loin, des routes vallonnées, champêtres, calmes, qui ne se livrent qu’à la force du jarret. Et là, tandis que je progresse vers le sud, je sens bien que le relief s’estompe jusqu’à disparaitre, le rythme de croisière s’accentuant avec le vent pour complice. Des forêts traversées, maintenant une rivière, le Trincou, que j’accompagne vers sa rencontre avec la Côle puis la Dronne, des châteaux signalés, des grottes aussi, tout cela défile dans mon avance vers la petite Venise du Périgord. Finalement, 115 km au compteur lorsque j’entre dans Brantôme.

Au beau milieu d’un site bucolique, Brantôme se niche à l’ombre d’une falaise, bâtie autour de son abbaye, enlacée par le cours d’eau, donnant à l’ensemble l’impression d’un îlot de pierre au cœur d’un paysage verdoyant. Après la douche, la petite promenade apéritive nous réjouit le cœur et les yeux. Qu’il est doux de déambuler au terme d’une journée bien remplie, avec du temps devant soi et l’assurance de vivre une soirée privilégiée, parce que la découverte est là, étonnante, unique, belle et pleine d’un charme apaisant.

René BALDELLON – CC Vias

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