Et pour conclure
Le Tour de France, c’est l’été. L’été qui ne peut pas finir, la chaleur méridienne de juillet. Dans les maisons on tire les persiennes, la vie devient plus lente, la poussière danse dans les rais de soleil. Se tenir à l’enclos quand le ciel est si bleu semble déjà discutable. Mais s’avachir devant un poste de télévision quand les forêts sont profondes, quand l’eau promet la fraîcheur, la lumière ! Pourtant on a le droit, si c’est pour regarder le Tour de France. Il s’agit là d’un rite respectable, qui échappe au farniente bestial, à la mollesse végétative. D’ailleurs on ne regarde pas le Tour de France. On regarde les Tours de France. Oui, dans chaque image du peloton lancé sur les routes d’Auvergne ou de Bigorre s’inscrivent en filigrane tous les pelotons du passé. Sous les maillots fluo, phosphorescents, on voit tous les anciens maillots de laine – le jaune d’Anquetil, tout juste paraphé d’une broderie Helyett; le bleu-blanc-rouge de Roger Rivière, avec ses manches si courtes; le violine et jaune de Raymond Poulidor, Mercier-BP-Hutchinson. À travers les roues lenticulaires, on devine les boyaux croisés sur les épaules de Lapébie ou de René Vietto. La caillasse solitaire de La Forclaz s’ébauche sur le bitume surpeuplé de l’Alpe-d’Huez. Il y a toujours quelqu’un pour dire : – Moi, ce que j’aime dans le Tour, c’est les paysages ! De fait, on traverse une France surchauffée, festive, dont le peuple s’égrène au fil des plaines, des villes et des cols. L’osmose entre les hommes et le décor se fait dans une ferveur bon enfant, quelquefois débordée par des hurluberlus surexcités. Mais sur fond de Galibier pierreux, de Tourmalet brumeux, un peu de paillardise franchouillarde ne fait que souligner la dimension mythique des héros.
« La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules» de Philippe Delerme chez Gallimard.
Ce que j’aime, dans le vélo, ce n’est pas le tour de France. Ce que j’aime, dans le vélo c’est monter sur la selle et pédaler. Ce que j’aime, dans le vélo c’est être seule ou à deux si je fais du tandem, devant, comme pilote. Ce que j’aime, dans le vélo c’est traverser le paysage, c’est humer l’odeur des foins. Ce que j’aime dans le tandem c’est quand mon coéquipier me fait découvrir le parfum des fleurs de maïs ou le chant du rossignol. Ce que j’aime, dans le vélo, c’est m’arrêter et tremper mes pieds dans l’eau glacée d’un torrent. Ce que j’aime, dans le vélo c’est d’abord entendre les marmottes, puis les apercevoir se chauffer sur le bitume, pour enfin les voir se carapater à mon arrivée. Ce que j’aime, dans le vélo c’est chercher où poser ma tente pour le soir. Ce que j’aime, dans le vélo c’est grignoter trois amandes, une tomate, une boîte de sardines et être heureuse de ce peu. Ce que j’aime, dans le vélo c’est la découverte au tournant ou au sommet d’une côte, d’une forêt, d’un village ou de la mer. Ce que j’aime, dans le vélo … c’est le vélo !
Martine SILBERSTEIN – M.I. 69.
Coulon, BPF des Deux-Sèvres, Province du Poitou (c) G.Hamon