La Gazette du BPF

n° 17 – décembre 2016

Mes BPF d’Automne, par René Baldellon

Octobre et novembre sont deux mois charnière entre les longs raids estivaux et les premiers frimas. La saison reste propice aux escapades en demi teinte, à cheval sur les souvenirs et les projets qui se bousculent. Alors, on hésite moins parce qu’on sait que le temps passe vite et que l’on a acquis une certaine idée du bonheur, fait de tous ces petits riens que l’on récolte à bicyclette.

Les couleurs d’automne et l’éclairage se mettent au diapason, tout est calme, encore chaud et moins agressif. Les collines dorées paraissent plus abordables sur des routes qui serpentent. La terre respire et semble se reposer avant d’entrer en léthargie. Sur les routes on ne croise plus que les gens du cru, les touristes sont partis, mais pour nous, tout le patrimoine local demeure. C’est l’heure où l’on peut visiter châteaux et abbayes, emprunter des gorges, gravir des petits cols en toute quiétude.

Alors on part, on enfourche le vélo à la rencontre des Provinces Françaises.


Brantes, BPF du Vaucluse



Je me mets en selle à la sortie de Vaison, sur la route de Buis-les-Baronnies. Tout au long de cette première partie, le parcours épouse la limite du département. Après St-André Entrechaux, je passe en Drôme. Je retrouve le Vaucluse une poignée de kilomètres plus loin après avoir bifurqué à droite sur une route qu’un panneau m’annonce remarquable, en direction du col de Fontaube. Ce col très agréable, sur une route vraiment remarquable, se gravit tout en douceur et l’effort régulier devient un plaisir tellement sont agréables les paysages qui défilent au fil des virages. Sur la droite, sa majesté le Ventoux nous écrase de sa masse couronnée par l’antenne de l’observatoire qui se détache dans le bleu du ciel.Aucun nuage ne s’est accroché au géant. L’itinéraire suit la vallée du Derbous qui a taillé son chemin à travers la montagne de Bluye. Après Eygaliers, la pente s’accentue un peu. Qu’importe les mollets puisque les yeux se régalent au spectacle des vergers jaunissants. Les mollets sont au cyclo ce que les yeux sont au touriste, en fait complémentaires pour former un cyclotouriste.
Le sommet atteint, je pose mon vélo contre le panneau qui indique le col. C’est l’été indien avec une chaleur toute douce, accentuée par la suée de la montée. Le silence m’enveloppe et les sens sont accaparés par le panorama. Il y a du Pagnol et du Giono dans ces montagnes où l’harmonie réside dans le mariage de la pierre et des plantes de la garrigue, dans l’or qui pleut sur les arbres fruitiers, dans le bleu du ciel qui coiffe les hauteurs e nvironnantes.

Je roule maintenant sur une sorte de plateau entre le col de Fontaube et le col des Aires, puis je tourne à droite sur Brantes. À peine ai-je attaqué la descente que le village se présente à moi, un tout petit village accroché à la montagne. Si je n’avais pas commencé cette aventure de chasse aux BPF, je ne serais certainement jamais venu ici. Et pourtant, c’est bien là l’intérêt de pratiquer le cyclotourisme, découvrir grâce au vélo des sites en dehors des sentiers battus. De plus il s’attache à ce village une racine de notre activité et il est bon de le savoir. C’est le village de Charles Antonin, un des pionniers de notre fédération de même que Pernes-les-Fontaines reste attaché à Paul de Vivie dit Vélocio. On comprend, en sillonnant ce Vaucluse, que tous ces précurseurs, natifs de là puis expatriés, aient ressenti le besoin de revenir au pays, et à cette époque là, à bicyclette.

À l’entrée du village je remarque la mairie. Par curiosité je m’approche pour voir le modeste panneau d’affichage et je saisis la poignée de la porte d’entrée sans trop de conviction. Par chance je suis tombé sur le jour d’ouverture. La surprise de me retrouver dans le bureau, sans avoir frappé avant d’entrer, n’est rien à côté de celle de la secrétaire que je surprends en train de… ne pas s’occuper des affaires municipales. Nous nous excusons mutuellement, elle pour ne pas être travaillant à son bureau et moi pour cette irruption bien involontaire.

Les présentations faites, elle comprend le pourquoi de mon passage et sort le tampon de la mairie avant que je le lui demande. Elle a l’habitude me dit-elle. Tout à côté de la mairie, un porche de pierre donne une idée de rempart. Au-delà, dans une ruelle empierrée, des pots de fleurs, des treilles se font face aux façades des vieilles maisons. Un chat se pavane sur les pavés de la rue. Je pars de Brantes non sans m’arrêter après deux lacets en descente, dans un virage où le village m’apparait tout entier, bâti sur le flanc de la montagne, étalant au soleil ses maisons de pierre, adossées à la pente et ouvrant leurs fenêtres au sud, regardant la vallée.


Montbrun-les-Bains, BPF de la Drôme



Après une descente rafraichissante, j’emprunte la D40 sur une dizaine de kilomètres, suivant la vallée du Toulourenc. Cette partie bien roulante me mène à Montbrun-les-Bains, mon deuxième objectif, atteint peu après midi.Une visite s’impose et me voilà grimpant par des ruelles empierrées jusqu’au sommet du vieux village où dominent les restes d’un château renaissance. Le panorama est superbe, les montagnes environnantes respirent la Provence, on se sent voisin des Alpes mais encore au pays des cigales. À mes pieds, la campagne qui s’étale est constituée en bonne partie de champs de lavande. À cet endroit, la vallée du Toulourenc s’est élargie et la rivière paresse, s’attarde, alimentant fontaines et moulins et bien évidemment les thermes, déjà mentionnés à l’époque romaine. On redescend du vieux village, passant sous une porte monumentale qui donne accès au château. Un beffroi majestueux se dresse sur la gauche, se détachant dans le bleu du ciel. À l’opposé, un clocher équilibre le tableau avec le château en son centre. Toutes les maisons accolées les unes aux autres se serrent au-dessus de la falaise et leurs façades font office de remparts. Je retrouve mon vélo et me laisse glisser dans la descente, revigoré par l’air frais du déplacement et abandonnant derrière moi l’un des plus beaux villages de France. Comme quoi les sites ne sont pas choisis au hasard ! C’est reparti pour 30 à 40 kilomètres, avec un itinéraire prévu auparavant sur la carte mais duquel je vais m’écarter à l’instinct. Les montagnes se resserrent ne laissant la place qu’à la rivière et à la route. Je remonte des gorges déjà à l’ombre. Bientôt, le soleil me surprend au sortir d’un virage et j’aperçois, perché sur ma gauche un château de conte de fées.Voilà le genre de découverte imprévue qui relève encore le plaisir d’une journée qui aurait dû être ordinaire. Je repars sur mon vélo pour rouler encore une heure. Je passe le petit col d’Aulan et descends dans la vallée de l’Ouvèze. Sur la D546, je retrouve une route plus large, bien roulante où je me plais à « amener du braquet ». Les kilomètres défilent toujours dans un cadre très plaisant, bucolique et calme. La circulation ne me gêne pas et une bande cyclable assez large me permet de pédaler en sécurité. Je traverse Buis-les-Baronnies et continue en direction de Vaison-la-Romaine, autre BPF du Vaucluse…

En Corbières

Et l’aventure recommence une dizaine de jours plus tard. Pour l’occasion, c’est vers les Corbières que je m’oriente, histoire de compléter un peu mon tableau de chasse du département de l’Aude comptant pour la province du Languedoc, la plus étendue des Provinces Françaises. Les seigneurs du Languedoc ont érigé leurs châteaux en forteresses, l’amour courtois des troubadours est entré en résistance. La suprématie du Nord a peu à peu étouffé les poches de velléité, les cathares puis les camisards se sont éteints, nous laissant quelques hauts lieux où la
mémoire plane toujours dans le vent dominant qui courbe nos arbres, celui du Nord précisément.

Après une approche en voiture, je me mets en selle à la sortie de Tuchan. Dès les premiers hectomètres, la route se glisse entre les collines, suivant la vallée du Verdouble. Sur ma droite, les vignes sont basses, presque à ras de terre, comme soumises à la férule de la tramontane. Je connais les vignerons audois et aujourd’hui il me semble mieux comprendre leur accent rocailleux, leurs mains noueuses, leur teint hâlé quand je vois ce sol envahi de cailloux, ces ceps tortueux et cette chaleur qui se dégage plus par la chaude lumière qui enveloppe le paysage que par la réelle température. Je remonte cette vallée, vent debout, tantôt au soleil, tantôt à l’ombre, au gré des virages qui se succèdent.

Voici Padern, un premier village traversé. En son centre, j’ai aperçu un café-bar d’un autre temps, celui des chevaux et des charrettes, et où j’imaginais un Marcellin Albert haranguant les vignerons. Image fugitive qui mêle un terroir et son histoire. À la sortie, perché sur un éperon, les ruines d’un château, là encore empreinte historique d’un riche passé dont il ne reste que le souvenir. Plus loin, Cucugnan, le plus provençal des villages des Corbières, qu’Alphonse Daudet a rendu inoubliable grâce à son célèbre curé.

À partir de Cucugnan, il me semble entrer vraiment dans le vif du sujet. Je suis en pays cathare, je me frotte à ses monts escarpés, à ses routes pentues, toujours à l’assaut d’un point de passage. Ayant bifurqué sur la gauche, j’attaque l’ascension du Grau de Maury sous l’oeil menaçant du château de Quéribus. La grimpée s’effectue dans les conditions idéales, vent enfin favorable, versant ensoleillé et le panorama qui s’élargit au fil de la montée, avec Cucugnan au-dessous et Quéribus qui grandit sur son piton, détaché dans le ciel. Arrivé au col, un excès d’optimisme me pousse à attaquer la montée finale vers Quéribus. 500m suffisent à me décourager, à moins que ce ne soit la pente à 20% ou encore le vent ? Quéribus a momentanément repoussé un assaillant présomptueux.

Je dois bien serrer mon guidon dans la descente du col vers le village de Maury. Je pense à Brassens, le vent qui vient à travers la montagne m’a rendu fou (du Victor Hugo en réalité). Me voilà maintenant sur une portion que je redoutais par avance sur la carte et qui s’avère peu agréable. Pour cette incursion dans les Pyrénées Orientales et jusqu’à St-Paul-de-Fenouillet, c’est une route nationale, rectiligne, et vent défavorable. Que du plaisir !

J’ai un vague souvenir des gorges de Galamus pour y être passé une fois, il y a longtemps. L’approche en est rendue difficile par le vent qui semble s’acharner alors que la route s’élève régulièrement. Lorsque j’avais préparé cet itinéraire, je le savourais par avance sachant que plusieurs intérêts agrémenteraient ce circuit. Terroir des Corbières, châteaux cathares et gorges de Galamus, de la variété pour la journée, pas le temps de s’ennuyer. Ça y est, me voici à l’entrée de ce défilé où l’Agly a creusé des gorges impressionnantes de profondeur et d’étroitesse. Vers le fond de la gorge, une chapelle s’accroche à la paroi de la montagne. Qui a pu bâtir ce petit édifice à cet endroit ? Sans doute cette chapelle a-t-elle été érigée sur un emplacement où vivait un ermite ? Le contraste est impressionnant, ce petit point perdu accroché là. C’est David et Goliath, l’homme face à la nature, chacun laissant son empreinte dans un équilibre
disproportionné. De nombreux panneaux préviennent les automobilistes de la dangerosité de la route. Du haut, on la distingue comme une entaille sur un pan vertical de la montagne, un abri sous roche continu, épousant les contours des à-pics. Certains virages doivent se négocier à quelques centimètres près, entre la paroi et le vide. C’est un terrain de jeu magnifique, un peu froid vu que le soleil a peu de possibilité de se glisser dans cette fente géologique. Au sommet du petit col d’En Guilhem, l’automne parade sous le ciel bleu. Juste un peu avant, j’ai vu un panneau indiquant Bugarach, célèbre par son pic qui devait recueillir en décembre 2012 les seuls rescapés de la fin du monde. Tout ceci n’est qu’une histoire de prédictions qui ne s’est pas vérifiée. Par contre, j’avais prédit un agréable BPF et je ne suis pas déçu pour l’instant.

Il reste à parfaire cette journée par un petit restaurant avant de se remettre en selle jusqu’à Duilhac puis finir en baskets à l’assaut des châteaux cathares. Le restaurant se trouve à Soulatgé. Une simple maison d’habitation aux volets bleus, la porte ouverte au soleil et un simple tableau affichant un menu du jour sans autre indication. Un couloir sépare les pièces, transformées en cuisine d’un côté et salle de restaurant à l’opposé. On se trouve face à une jeune femme tout à fait ordinaire qui ne fait en rien penser à une restauratrice. La courtoisie de son accueil la rend sympathique et dès qu’elle présente ce qu’elle a fait aujourd’hui, on la considère avec attention.

Pour atteindre Duilhac-sous-Peyrepertuse, rien à signaler si ce n’est le moment d’euphorie qui suit généralement un bon petit repas. Bien rassasié et surtout bien heureux, maintenant c’est la route que je dévorerais. D’ailleurs je l’avale littéralement, suivant une expression qu’on emploie dans le jargon cycliste, d’autant mieux que je retrouve une petite fraîcheur vivifiante due à la vitesse, accentuée par le vent favorable et une route légèrement descendante. C’est grisant et dégrisant à la fois car l’euphorie ne dure que le temps de la conjonction des circonstances propices. Dès que la pente s’inverse, le soufflé retombe d’autant plus vite que le garçon attaque trop fort le début de la montée, alors forcément la réalité me rappelle à l’ordre et je redeviens le cyclo raisonnable, après cette parenthèse, pour terminer gentiment cette côte. Je n’ai plus qu’à me laisser glisser jusqu’à Duilhac. C’est dans une épicerie que je recueille le coup de tampon que l’épicière sort de son tiroir sans même que je le lui demande. « Vous êtes le premier cycliste que je vois cette année » me précise-t-elle. Il était temps, nous sommes à la mi-novembre, ainsi 2014 ne sera pas une année blanche pour ce BPF de l’Aude. Le but de la journée est atteint. Mon vieux carton BPF, vert fané, commencé en 1980, s’est enrichi d’un nouveau tampon. Quatre sites audois ont été visités, il ne m’en reste plus que deux. Mais la vraie visite, c’est maintenant que je vais l’approfondir. En deux temps. Le château est là-haut accroché sur des falaises abruptes. J’attaque à vélo la montée à travers la garrigue, mais bien vite je jette l’éponge. Trop dur, quoique avec de la patience et un petit braquet ce n’est pas impossible. Mais il est temps de remettre le vélo dans la malle de la voiture et de partager avec Chantal ce reste d’après-midi. Le bonheur ne doit pas être égoïste, partagé il n’en est que meilleur. Changement de tenue et de chaussures et à l’assaut d’un premier château cathare.

Citadelle difficile d’accès, il faut une petite demi-heure sur un sentier panoramique pour atteindre la première enceinte du château.

Impressionnant de grandeur, il m’étonne, comme souvent, par l’ampleur de la tâche accomplie en des temps où les moyens étaient limités essentiellement à la force humaine. Pas de moteurs à explosion ni électrique, pas de machines ni de matériaux fabriqués, simplement des pierres, du travail, de la patience et de l’ingéniosité réunis sur ce nid d’aigle. L’endroit est stratégique et commandait des accès sensibles que lorgnaient les rois d’Aragon. Ces deux châteaux avec celui de Quéribus furent deux places-fortes sur lesquelles la couronne de France s’appuyait. Les cathares également s’en servirent de refuges contre la croisade albigeoise. Réputés imprenables, seul un siège prolongé pouvait réduire les résistants affamés.


Lagrasse et St-Hilaire

Ce matin, à Lagrasse, la température est un peu fraîche. Je connais le début de l’itinéraire qui suit la vallée de l’Orbieu. Je l’avais emprunté en 2010 lors du printemps de Lagrasse, une randonnée du codep 11, où j’avais à l’occasion validé ce BPF. Dès la sortie du village, c’est la présence de l’automne qui prédomine. Jusqu’alors, il n’y a pas eu de froidure, les arbres ont conservé la quasi-totalité de leur feuillage et les feuilles toujours accrochées ont viré au mordoré, au rouge, allumant des couleurs de feu dans la campagne. Je remonte cette vallée dans une solitude froide qui ne me dérange pas. Je sais que la température va s’élever d’ici peu et la solitude me donne une impression de possession exclusive. Toute cette nature qui s’éveille au soleil d’automne, je suis seul à en profiter. Le monde n’appartient-il pas à ceux qui se lèvent tôt ?

Je traverse St-Pierre-des-Champs endormi, roulant le plus souvent à l’ombre du soleil matinal. La montagne est sur ma gauche, la rivière à droite, paisible dans son lit où certains arbustes courbés rappellent que cette quiétude n’est qu’apparente, les orages et les crues soudaines pouvant être dévastatrices. Un peu plus loin, dans une boucle de la rivière, un petit hameau, St-Martin-des-Puits avec pour seule présence apparente des poules dans une basse-cour.

Décidément ces Corbières sont truffées de châteaux. Ces reliefs montagneux étaient des terrains favorables aux guerres d’influence que se livraient les seigneurs d’alors. On se perchait sur un mont, sur un pic, enfermé dans une forteresse, n’en sortant que pour aller guerroyer chez le voisin et essayer d’agrandir son territoire.

Et voilà maintenant Vignevieille, un village perché sur la gauche de la route. J’y suis venu à plusieurs reprises, avec toujours d’excellents souvenirs. Ensuite, les choses sérieuses commencent. Oh rien de bien méchant, un col de saison, pas très haut, un col d’automne, 600m pas plus, soit 7 kilomètres à 5 à 6% de moyenne. Je l’aborde au train, les mains en haut
du guidon, sur une route étroite qui serpente et s’élève régulièrement. L’issue de cette grimpée reste secrète. Pour l’instant j’évolue en forêt, entre les montagnes avec une orientation vers l’ouest. Par endroit, le soleil, dans mon dos, allume les arbres d’une lumière jaune éclatante. La fraîcheur du sous-bois devient une alliée car la chaleur de la montée se fait ressentir sous la veste. La fin du col se devine au sortir de la forêt. Arrivé au village de Lairière, la vue s’ouvre sur un moutonnement de collines dont les couleurs virent au roux.

L’arrêt s’impose au col de la Loubière. Comme chaque fois que l’on prend de la hauteur, le silence paraît plus grandiose, si on peut mesurer le silence. Peut être à cause de cette impression d’immensité, le silence prend une autre dimension lui-aussi. Avec lui c’est un sentiment de quiétude qui se dégage. Me voilà sur un plateau, au soleil. La progression pour en arriver là a été régulière, à l’ombre, parfois rude. En somme une traversée du purgatoire pour atteindre le ciel. Et puis le rideau s’est ouvert et une vie est apparue sur ce plateau. Dans un pré, un superbe taureau coule des heures tranquilles. Son harem n’est pas loin, de l’autre côté de la route, un troupeau de vaches rumine inlassablement. Images pastorales à 600m d’altitude, un 19 novembre au fin fond de l’Aude. Après 300m sur ce plateau, je dérange un faisan qui s’envole à la verticale dans un arbre. Encore une vision éphémère qui embellit le souvenir.

Selon mes prévisions, il nous reste une trentaine de kilomètres à saute-moutons à travers les collines pour changer de paysage et atteindre Limoux. Progressivement, on quitte cette atmosphère secrète, ces routes étroites, presque abandonnées pour des chaussées plus larges, des horizons plus ouverts. La descente sur la vallée de l’Aude est douce et régulière, juste ce qu’il faut pour avancer la route à bonne allure et sans forcer. C’est idéal pour se laisser glisser en toute décontraction en profitant du spectacle ininterrompu des images qui défilent. L’entrée de Limoux se perçoit bien avant, par des zones d’activité industrielle. Oh ce n’est pas Marseille ou Lyon, mais on voit quelques parkings d’usines bien fournis. Tant mieux s’il y a encore de l’emploi autour de Limoux. Pourvu que ça dure!

Traversée de Limoux à l’heure de la reprise du travail. Pour moi une sinécure et un véritable plaisir. Il n’en demeure pas moins que je reste sur ma faim. À Limoux j’associe aussitôt le mot blanquette. Or je n’en ai pas bu au restaurant et je n’ai pas vu une seule vigne. Où est le vignoble de la blanquette de Limoux ? La réponse m’apparaît dès la sortie de la ville en direction de St-Hilaire. Une première vigne et juste après un panneau qui annonce sur la gauche la Chapelle N.D. de la Marceille. Forcément, j’y vais.

C’est un ensemble architectural assez imposant comprenant l’église et quelques bâtiments annexes. À l’extérieur des platanes centenaires accentuent cette idée de havre de paix où seul chante le vent dans les branches, tandis qu’à l’intérieur une douce musique religieuse habille le silence. Instant de repos et d’étonnement. Je ne me doutais pas ce matin, en démarrant à 8h de la maison, que je me retrouverais à 14h dans la fraîcheur d’une grande et belle église ouverte aux passants et aux curieux en quête de découverte et de spiritualité pour la circonstance. L’instant est calme, reposant et inattendu. J’enfourche mon vélo pour retrouver l’itinéraire qui s’éloigne de la vallée de l’Aude pour sinuer sur des premiers vallonnements où s’étirent les vignes. De part et d’autre de la route des panneaux publicitaires invitent les automobilistes à visiter les domaines où s’élaborent la fameuse blanquette, méthode ancestrale, la vraie bien évidemment. Je comprends l’implantation des vignes sur ces coteaux bien exposés, mais coteaux pour les vignes est synonymes de côtes pour le cycliste. Alors je vais, de virage en virage, de descente en montée toujours entouré de rangées de ceps bien alignés.

La route défile agréablement alternant moment d’effort et de roue libre dans un cadre essentiellement viticole. Une dernière descente me permet de rallier en toute décontraction le but de cette journée, St-Hilaire. Une fois encore, la quête du tampon me mobilise un long moment. Il est 15h et pas âme qui vive. Les commerces sont rares ou fermés, les indications hasardeuses, notamment pour la mairie que je chercherai en vain. Finalement c’est le pharmacien qui pointera mon carnet de route.

L’attrait de St-Hilaire réside dans son abbaye. Visite intimiste, un 19 novembre, les visiteurs ne se bousculent pas! Les origines de l’abbaye bénédictine de St-Hilaire remontent au IXème siècle. Douze siècles plus tard elle est toujours là, ayant traversé plusieurs périodes troubles de guerre, de peste, de croisade, changé plusieurs fois de protecteur au gré de décisions royale ou papale. Mais si l’ensemble des bâtiments de l’abbaye a été quelque peu dépouillé au fil des siècles, il demeure dans l’enceinte même de l’abbaye, protégée autrefois par des remparts encore visibles, un magnifique cloître et l’église abbatiale où le sarcophage de St-Sernin, un bas-relief sculpté dans le marbre, est époustouflant de détails et de minutie.

Ce département de l’Aude est décidément riche en abbayes. Après celle de Lagrasse, autre BPF, peut être la plus prestigieuse est celle de Fontfroide. Mais avant de rentrer, une dernière visite s’impose. Une abbaye, bien modeste et bien cachée dans la vallée du Lauquet, l’abbaye de Rieunette où quatre ou cinq jeunes religieuses se sont établies depuis peu pour redonner vie à cet édifice. Quel courage de vivre ainsi en ce lieu retiré, vie de jardinage, d’un peu d’élevage, de prières et de foi à déplacer les montagnes. Bravo mes soeurs! Nous on se retire, on vous laisse dans vos solitudes silencieuses, emportant pour le souvenir un pot de confiture de citron. Comme il y a huit jours tout se termine par une petite heure d’autoroute dans la nuit noire. Journée réussie pour cette troisième journée BPF d’automne.


Je pense que l’année 2014 est terminée pour ce brevet si intéressant. Outre les quatre que je viens d’écrire, il m’aura permis, cette année, d’aller pointer à St-Agrève dans l’Ardèche lors d’une superbe randonnée des gorges du Doux, puis à Orgelet, Château-des-Prés dans le Jura et au col de la Faucille pour l’Ain lors du Brevet Cyclo Montagnard du Jura, et cet été, et pour la Savoie il m’aura obligé, avec grand plaisir, à grimper au sommet de l’Iseran puis un autre jour au sommet du Glandon et de la Croix de Fer.
L’hiver peut venir, l’armoire aux souvenirs se remplit et les projets pour 2015 pourront commencer à s’affiner.

Texte et photos :
René BALDELLON,
Pézenas VCLL.

 

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