Crémieu et la Bérarde par René Baldellon

Pour débuter cette semaine estivale, en vacances au Grand-Bornand, nous mettons le cap sur un BPF d’altitude comptant pour le département de l’Isère et la province du Dauphiné : La Bérarde.

Voilà quatre jours, notre destination était déjà vers l’Isère et plus précisément le BPF de Crémieu. Il faisait chaud, surtout venant de nos montagnes des Aravis. La proximité de Lyon se faisait déjà sentir par une circulation assez dense et notamment celle des poids lourds, lorsque je devais emprunter des routes moins buissonnières. On avait mangé sous l’immense halle médiévale où les vieilles poutres de bois et la lourde toiture de lauzes restituaient ce peu de fraîcheur que j’appréciais après un itinéraire d’une soixantaine de kilomètres depuis Novalaise, par le col de la Crusille, jusqu’à Crémieu. La balade qui suivit le repas, par les vieilles ruelles pentues menant au château, ressemblait plus à un jeu de piste, rasant les murs, et nous menant d’ombre à ombre, jusqu’en haut de la cité d’où se découvraient les toits, l’église, une imposante porte de la ville et plus loin, sur une colline, un quartier fortifié. C’était il y a quatre jours, un BPF ordinaire et chaud, sans plus, une longue journée tout de même avec, en fin d’après-midi, un retour vers la Haute-Savoie par le belvédère du Mont du Chat, au-dessus du lac du Bourget, à 1504 m d’altitude et que l’on atteint après une montée de douze kilomètres dont la majorité affichaient des pourcentages de 10 à 12%. Impressionnant !

Alors ce matin, il nous aura fallu près de deux heures pour nous amener jusqu’à Bourg d’Oisans, départ prévu pour cette destination encore inconnue de La Bérarde. Vu sur la carte routière, on imagine déjà le décor dans lequel va se dérouler l’action. Une route unique qui s’enfonce entre les montagnes et remonte la vallée du Vénéon pour venir buter au pied du massif des Ecrins, dans un cirque où les sommets le toisent à plus de 3000 m, dominé par des cimes mythiques des Alpes, la Meije ou la barre des Ecrins.

Effectivement, après avoir quitté la route nationale, le décor est planté sans autre alternative que d’aller droit devant et s’élever, prendre de l’altitude, cerné de part et d’autre de massifs imposants. Comme souvent, quand la nature réduit l’espace, la route suit le torrent et le remonte. À l’ombre des montagnes il fait frais, une fraîcheur encore accentuée par la proximité des eaux blanches qui dévalent des glaciers tout là-haut. Les premiers panneaux rencontrés me confortent dans l’idée que je me faisais de ce lieu retiré. Le premier indique le but à atteindre, à 27 km. Le second, écrit grossièrement à la peinture, s’intitule « col de la nostalgie ». Pourquoi pas ? Et c’est vrai qu’à cet instant me reviennent des images de mes débuts cyclotouristes voilà quarante ans, cyclos en knickers de velours et chaussettes écossaises, sur leurs belles randonneuses confortables, mains en haut du guidon derrière la sacoche, pédalant sur des routes furtives de montagne où la solitude engendre la rêverie et l’immensité exalte le bonheur.

La chapelle de La Bérarde au pied des Ecrins. À l’intérieur de nombreuses plaques à la mémoire des alpinistes ou sauveteurs tombés ou disparus en montagne.

Le col de la nostalgie où malgré tout le progrès a apporté son écot de bienfait par le biais d’un revêtement bien lisse et mieux adapté qu’autrefois. Alors la nostalgie serait-elle présente à cause de la configuration de cette vallée impasse ? Peut-être. Le fait d’être à l’écart des axes de circulation lui confère une authenticité qui n’est pas soumise aux courants de passage. Et de passages, pour nous cyclos, c’est à celui des véhicules auquel nous pensons. En l’occurrence, je constate assez rapidement le peu de circulation et les quelques voitures rencontrées affichent un respect des deux roues et toute la sérénité montagnarde des marcheurs, alpinistes ou gens du cru, apaisés par ce cadre insolite.

Il me faudra près de deux heures pour remonter cette vallée jusqu’à La Bérarde à 1713 m d’altitude. J’allais écrire sans forcer, expression à prendre au second degré quant à la manière d’aborder une longue pente exigeante, car même en touriste contemplatif, il faut forcer sur les pédales dans les passages à plus de 10%. Mais qu’importe la suée, au pied des falaises et à la rage du soleil, car déjà la route retrouve le voisinage du torrent qui mêle son bruyant roulement à une fraîcheur bienvenue. De nombreuses cascades se déversent à même la route. Plus loin, de plus majestueuses dévalent de la montagne, visibles de loin, écumant et se précipitant dans le vide dans un fracas tumultueux naissant soudainement, s’amplifiant puis disparaissant au détour d’un virage.

Le torrent roule dans ses eaux blanches et bouillonnantes les galets descendus de la montagne.

Vénosc a été traversé en premier, village montagnard, et village artisanal précise une flèche sur un panneau qui envoie sur la gauche de la route. Je continue mon chemin sans entrer dans le détail des indications touristiques, trop souvent rabatteuses. C’est d’abord l’atmosphère du lieu qui m’intéresse, l’originalité de cette vallée cachée, les paysages caractéristiques de cet Oisans rocheux et sauvage. À ma droite, le torrent charrie immuablement ses eaux blanches et bouillonnantes parmi les galets descendus tout droit de la montagne, sans cesse roulés dans le courant, et désormais polis, formant, par accumulation, des îlots d’où émergent quelques arbustes promptement poussés mais qui disparaitront à la prochaine crue. Après un virage en épingle, la pente se dresse à nouveau et très rapidement, en quelques lacets, je m’élève au-dessus du lit du torrent. En un endroit, la route déjà très étroite s’est effondrée, ne laissant qu’un étranglement où le passage ne peut s’effectuer que par alternance parmi le gravier que l’eau a déposé.

Il y a peu, St-Christophe-en-Oisans était coupé du monde à cause de cet effondrement que les ouvriers sont en train de réparer. Au-dessus de moi, le clocher de l’église et quelques toits apparaissent, deux lacets plus haut. Je m’efforce de les gravir à l’arraché dans une pente à 12%. C’est un village montagnard typique, réduit à quelques maisons serrées de part et d’autre de la rue, et route à la fois, qui le traverse. Le cimetière, attenant à l’église, est au centre du village. À l’intérieur de l’église, de nombreuses plaques de marbre rappellent la mémoire de trop nombreux alpinistes tombés sur les sommets environnants, emportés à la barre des Ecrins par une avalanche ou plus souvent par une passion aux risques enivrants. À l’enseigne La Cordée, une descendante du premier vainqueur de la Meije tient une épicerie, bar et bazar d’un autre temps, mémoire d’un passé d’alpinisme toujours vivant et recherchée par les amateurs inlassablement en quête de nouveaux sommets à conquérir. C’est ici, à La Cordée, que nous nous arrêterons nous désaltérer sur le chemin du retour. Puis, par un sentier qui se coule sous le village, nous atteindrons le Pont de Diable, petit pont de pierre qui franchit le torrent du même nom, torrent du Diable tonitruant, se jetant et dévalant du glacier de la Selle (on reste dans le sujet). Au-dessus, un autre pont suspendu dans le ciel, celui qu’emprunte la seule route de la vallée.

Passé St-Christophe, la route s’adoucit considérablement, se contentant de longer le torrent, le surplombant d’abord d’une hauteur vertigineuse pour s’en rapprocher enfin à l’approche de La Bérarde qui se découvre au dernier moment, alors que les montagnes, qui jusque là s’étiraient de part et d’autre, semblent se rejoindre pour fermer la vallée par un cirque infranchissable. La route se termine ici, au pied des massifs. Les cyclistes déchaussent sur le parking terminal tandis que les randonneurs aguerris ou les alpinistes se préparent à partir sur les sentiers aériens ou à l’assaut des sommets qui accrochent les nuages, gros sacs sur le dos, bonnes chaussures de montagne et bâtons en mains.

L'unique route d'accès à St-Christophe-en-Oisans au dessus du torrent du diable.

Pour moi, comme souvent, tout finit à l’auberge qui valide mon BPF d’un précieux tampon, autour d’un repas bien gagné, dans un cadre qui se mérite et ne s’offre qu’à des gens motivés ou à la curiosité d’un BPFiste.

Texte et photos, René BALDELLON - C.C. Vias.

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