Randonnée BPF en Cher et en Creuse
Le Cher, c’est l’occasion d’acquérir une province supplémentaire, en l’occurrence le Berry, formée du département du Cher et de celui de l’Indre. C’est aussi pour moi l’occasion de boucler une province 40 ans après l’avoir entamée.
Après 5h d’autoroute, il est temps de se dégourdir les jambes et de se pénétrer de nouvelles routes, de nouveaux paysages. C’est le dépaysement en l’espace de quelques heures. J’observe tout ce qui m’entoure, cherchant à y trouver quelques différences qui me conforteraient dans la perception que j’ai ou que j’imagine de cette région, du Berry. Sont-ce les images des très riches heures du duc de Berry qui m’influencent ? Je pense évoluer dans une région riche et les champs qui s’étirent de part et d’autre de la route ne semblent pas contredire cette impression. Je longe un mur d’enceinte qui clôture un vaste terrain d’où partent, en étoile, des lignes électriques à haute tension. C’est le rond-point de l’Etoile avec, en guise d’avenues, des alignements de pylônes gigantesques et des câbles qui crépitent audessus de ma tête. Les champs sont moissonnés de toutes cultures, ne laissant que du chaume desséché. La campagne elle-même souffre de sècheresse, offrant un paysage d’où le vert s’en est allé. Au bord d’une haie, une vache s’attaque à un arbrisseau épineux comme le ferait une chèvre. L’eau fait cruellement défaut.
Méhun-sur-Yèvre
La porte de l’horloge, à Mehun-sur-Yèvre.
Mais à Méhun-sur-Yèvre, je retrouve de l’eau, tout d’abord le long du canal de Berry, puis en bordure de la rivière Yèvre, ombragée de grands arbres, parsemée de jardins et parcourue de promenades charmantes. C’est vers le centre ville que je viens chercher ce qui est à voir. Et tout d’abord la Porte de l’Horloge qui donne accès à l’intérieur de la ville, porte monumentale flanquée de deux imposantes tours laissant supposer que les remparts devaient être impressionnants.
Avant de poursuivre la visite, je cherche l’Office de Tourisme pour valider ce premier BPF du Cher. Il me reste à trouver le château de Charles VII. Ce qu’il en reste hélas, soit une tour et demi, se trouve en ville. La grandeur et la beauté de la tour donnent une représentation de ce que devait être le château. Sa position et les douves immenses qui l’entourent ajoutent encore à cette idée. C’est à Jean de Berry, que l’on doit ce style. Préfigurant déjà la Renaissance, il s’était entouré des meilleurs artistes pour faire du château un lieu de villégiature, collectionnant les plus belles oeuvres de l’époque, aménageant les jardins. Charles VII, venant après lui, y habitera régulièrement avec sa cour. C’est ici qu’il accueillera Jeanne d’Arc et l’anoblira.
Bourges
Comment visiter le Cher sans passer par Bourges ? Impensable ! Sa cathédrale, le palais Jacques Coeur, ses rues aux maisons médiévales, tout un patrimoine (reconnu par l’UNESCO) qu’on ne saurait éluder. La première impression est bonne. Imaginez, un parking immense situé en centre ville, ombragé de grands arbres, avec des emplacements très larges. Trois minutes suffisent pour découvrir, au bout d’une rue, un édifice imposant : la cathédrale de Bourges, le joyau de la ville. Nous voici seuls, face à la façade principale baignée dans le soleil couchant. L’idéal pour la mitrailler sous tous les angles. Ce qui étonne à première vue, c’est sa grandeur, sa largeur avec cinq portails d’entrée, la profusion des sculptures et principalement celles du tympan de l’entrée principale, préfigurant le jugement dernier.
Nous tournons autour de ce vaisseau de pierre aux dimensions exceptionnelles, nous contentant des vues extérieures. Tout autour, des maisons à pans de bois nous plongent dans une atmosphère médiévale. Des rues pavées, des façades d’un âge très ancien et des boutiques qui perpétuent sans doute cette vie marchande autour de l’édifice. Le lendemain matin, nous sommes à l’heure d’ouverture de la cathédrale et pouvons profiter, dans un silence céleste, de la majesté de cet ouvrage. L’immensité des volumes, la hauteur des voûtes et colonnes n’ont rien d’écrasant tant l’harmonie de l’ensemble est parfait, rehaussée particulièrement par un ensemble de vitraux exceptionnels qui éclairent le choeur, le déambulatoire et la nef. Ici, il n’y a pas de transept, mais de nombreuses chapelles qui entourent le choeur. L’élément qui s’impose, c’est la lumière, grâce à cet ensemble de vitraux répartis sur trois étages et qui diffusent une lumière colorée sur la pierre. On resterait des heures dans la contemplation de toutes ces oeuvres d’art, mais l’éternité n’est pas de ce monde et le temps nous est compté. Ce n’est pas la grande horloge astronomique du XVème siècle, exposée à l’entrée de la cathédrale, qui nous contredit.
Et pour profiter au maximum de cette matinée, c’est vers le Palais Jacques Coeur que nous nous dirigeons. La façade donnant sur la rue et le corps de logis principal présentent un décor exceptionnel. Cette construction, antérieure à la Renaissance préfigure déjà les hôtels qui seront bâtis à cette époque, par le raffinement et la richesse du décor, l’équilibre des lignes et, à l’intérieur, par le souci permanent de la fonctionnalité et du confort. Nous passons une heure dans ces appartements où nous sont contées la personnalité originale et la vie de Jacques Coeur. Grand Argentier du Roi, commerçant hors norme, armateur, usurier, son ascension fulgurante a finalement causé sa perte. La spirale de la richesse l’a condamné et sa fortune plus grande que celle du roi de France n’est pas étrangère à son arrestation, son jugement et son bannissement. Condamné à léguer sa flotte à la couronne de France, il sera contraint de partir pour une croisade dont il ne reviendra pas.
Sancerre et Apremont
Peu avant Sancerre le tourisme à vélo reprend ses droits. Première constatation, le vent lui aussi va du nord vers le sud, or pour l’instant, je monte vers le nord, et quand je dis je monte ce n’est pas une image, c’est une réalité. Voilà deux éléments, vent et pente, qui me rappellent à l’ordre. Un BPF, ça se mérite ! Car Sancerre est connu pour ses vins à cause de l’excellente exposition de ses coteaux très pentus. Demandez à mes mollets qui ont combattu ce vent défavorable voulant m’empêcher d’accéder à la cité là-haut perchée. C’est à la mairie, au coeur de la ville, tout en haut de la colline, que je pointe ce deuxième BPF du Cher. Cette formalité accomplie, je profite du panorama sur les vignes avant de me laisser glisser vers la Loire. Récompense grisante et agréable, dans une descente sinuant à travers vignes. Au passage, je remarque le panneau de Chavignol, berceau du petit crottin, célèbre fromage de chèvre.
La route, après avoir retrouvé une certaine planéité, défile allègrement, par vent arrière. La Loire se devine sur ma gauche par la présence d’arbres bordant ses rives. Les cultures succèdent aux cultures, quelques fermes trompant l’uniformité du paysage où des vaches blanches sont omniprésentes. À Herry, je sens la présence du fleuve à portée de roue, il est là, tout proche. Je vais enfin pouvoir évoluer au contact de la Loire, car c’est bien dans ce but que j’ai tracé cette étape. Mais voilà, quand tout semble atteint, il y a toujours un grain de sable pour contrarier le bon déroulement. Route barrée, voie inaccessible et déviation obligatoire. Un détail pour les autochtones, mais pour un cyclotouriste expatrié, c’est un nouveau parcours à trouver. J’ai déjà le nez dans les cartes quand arrivent deux cyclos en balade. Ce sont deux sociétaires du club cyclotouriste de Fourchambault. Je m’en remets à leur connaissance des lieux et bénis le hasard des rencontres. L’amitié sportive est immédiate et le tutoiement qui va avec accompagne nos pédalées. La discussion nous révèle une coïncidence. L’un des deux collègues se trouvait chez nous dans l’Hérault début juin, au parc de Bessilles, et avait participé à la fête du vélo dont j’étais aussi organisateur. Aujourd’hui, c’est lui qui me reçoit dans son fief et j’en suis heureux, car je peux naviguer sans carte. Nous gagnons La-Charité-sur-Loire et empruntons la piste cyclable de la Loire à Vélo.
Apremont-sur-Allier
Le plaisir est bien réel. Rouler en toute sécurité, en dehors de toute civilisation motorisée, avec pour seuls compagnons les cris d’oiseaux, un léger vent, la Loire qui coule paresseusement, dégageant quelques îlots en son centre, les feuilles des arbres qui bruissent légèrement, un héron cendré qui prend son envol, battant mollement des ailes, plus silencieux qu’un planeur et à peine plus mobile. Nous roulons sur une levée rectiligne parfaitement lisse et avançons au coeur d’une nature dans laquelle nous nous fondons.
Pour rejoindre Apremont-sur-Allier, la route suit le canal latéral à la Loire. À l’entrée du bourg, je prends un cliché de l’écluse ronde des Lorrains puis photographie le panneau d’entrée du village pour valider ce BPF, sûr de ne trouver aucun tampon. Par acquis de conscience, je me renseigne auprès d’une automobiliste assise dans son véhicule. Elle descend alors de son véhicule, emporte mon carton, ouvre la mairie puis revient avec le règlementaire tampon de la commune apposé sur ma carte. Était-ce madame le maire ou la secrétaire de mairie ? Je ne le saurai jamais. Il me reste maintenant à savourer la quiétude de ce village labélisé parmi les plus beaux villages de France.
Le château d’Apremont-sur-Allier se tient fièrement sur le penchant d’une butte d’où il domine le bourg. Actuellement fermé, pour cause de saison morte, nous n’aurons pas accès au jardin remarquable mentionné dans tous les guides touristiques. Mais en revanche, toujours pour cause de saison morte, personne, pas un bruit. À peine une légère fraîcheur qui descend avec l’ombre qui gagne. Le temps semble suspendu, figé dans un calme apaisant, livré aux seuls oiseaux qui planent encore ou se posent dans les arbustes et les hautes herbes des rives. Une maison paysanne avec son jardinet attire mon attention. Trois poules vagabondent juste devant, nullement farouches. À mon approche elles viennent se coller à mes pas, certainement dans l’attente de quelque pitance. Je m’assied sur un banc avec la conscience d’être heureux face au tableau qui m’est offert. Il me revient alors un poème de Maurice Carème « le bonheur c’est tout petit, si petit que, parfois, on ne le voit pas… il est là dans l’arbre qui le chante dans le vent, dans l’oiseau qui le crie dans le ciel, la rivière le murmure… on peut passer sans le voir, car le bonheur c’est tout petit, il ne se cache pas, c’est là son secret, et il est là, tout près de nous, et parfois en nous ! ».
Meillant, Culan et Toulx-Ste-Croix
C’est de Meillant que va débuter la balade. Mais auparavant, place à la visite du château. Dès 10h 15, c’est dans le parc embrumé du château que nous nous évadons. Là encore, nous ne sommes que deux couples à profiter d’une visite quasi privée. Pour l’heure, nous nous promenons sous les grands arbres, avec quelques arrêts dans le musée des miniatures ou auprès des dépendances où stationnent véhicules anciens et voitures à chevaux. Un arrêt plus prolongé nous retient sous un imposant noyer qui a laissé choir des noix en quantité. Comme les écureuils, on succombe à la tentation et la petite provision que nous emportons réveillera au coeur de l’hiver le souvenir de ce château en Berry.
Le château, de style gothique flamboyant, n’a rien à envier aux classiques du bord de Loire. Richement meublé, et toujours habité par l’actuel marquis Aimery de Rochechouart de Mortemart (rien que ça), il est le reflet d’une des plus grandes et des plus anciennes familles françaises avec laquelle d’illustres noms sont liés, de Colbert et bien d’autres jusqu’à la Montespan favorite de Louis XIV. La façade principale, la tour très ouvragée qui lui est accolée, forment un ensemble magnifique d’une esthétique remarquable. Dans la cour d’honneur, la chapelle avoisinante complète l’ensemble. Aussi beau que l’extérieur, l’intérieur, très richement meublé, abrite des meubles, des sculptures, des tableaux, des tapisseries et des objets de valeur inestimable et reflète la richesse, la grandeur d’un passé vieux de plus de dix siècles difficilement imaginable. La noblesse a encore de beaux restes.
Et maintenant, place au vélo. C’est vers Culan que je mets le cap. St-Amand-Montrond a bien voulu nous recevoir pour un arrêt restaurant et, après avoir franchi le pont sur le Cher, me propose, pour m’extirper de la vallée, une petite côte en guise de digestion. Je navigue à présent en pleine ligne droite où les variations se jouent tout en dénivellations. C’est l’heure de gloire de mon dérailleur qui visite graduellement tous les pignons, afin de conserver au mieux un rythme de pédalage constant. Sur ma gauche, une forêt se déroule, interminable, coupées de layons rectilignes où j’imagine à chaque instant voir surgir une chasse à courre. Une certaine monotonie s’installe et l’intérêt n’est pas au top, alors c’est l’activité sportive qui prend la relève et le plaisir est dans l’action. Culan est enfin atteint et me donne l’image d’un bourg assoupi. C’est au château que j’ai trouvé âme qui vive et cachet officiel pour apaiser ma tamponite aigüe. J’en suis à cinq sur six, le Berry est prêt de tomber dans mon escarcelle. L’ultime, Châteaumeillant, n’est plus qu’à une portée de pédale.
Aucun souvenir ne se rattache au secteur séparant Culan de Châteaumeillant. À l’entrée de la ville, l’office de tourisme appose le dernier sésame, validant ainsi le département du Cher et la province du Berry, et, juste en face l’église St-Genès. Cet édifice assez imposant datant de la fin du XIe siècle est typique de l’art roman. À partir de là je m’offre un supplément qui n’était pas prévu initialement, mais l’envie est présente, la météo agréable, encore deux heures de temps devant moi et l’occasion propice pour poser mes roues dans un coin de la Creuse où je n’irai jamais, sauf pour aller quérir un BPF. Cela fait un moment que j’ai oublié le plat pays du bord de Loire. En début d’aprèsmidi, j’ai bien senti la transition vers une région vallonnée. Le compteur, compagnon fidèle, confirme l’impression. Le dénivelé grimpe régulièrement, la distance s’allonge elle aussi et les cuisses certifient toutes ces observations. À Boussac, je pense être au bout de mes peines. D’après le coup d’oeil sommaire que j’ai jeté sur la carte tout à l’heure, Toulx-Ste-Croix ne doit plus être bien loin, cinq kilomètres tout au plus. Et c’est avec un ardeur conquérante que je me lance vers ce dernier petit effort. J’ai bien vu sur la carte qu’après Boussac je ne devais pas rater un croisement et virer sur la gauche pour arriver presque aussitôt au terme de mon étape. M’y voici, ouf ! Je ne dois plus être bien loin. Enfin un panneau indicateur où je lis le nom de ce bled perdu. Tiens, je pensais que c’était juste en face, mais non, je repars sur la gauche. J’affiche presque 80 km au compteur et la route commence à s’élever comme pour me dire, tout se mérite. C’est sûr cette fois le village est juste après ce virage. Raté, il n’est toujours pas là! J’aperçois les premières maisons. Encore raté, c’est un hameau, et la route qui n’en finit pas de monter. Maintenant, je n’ai plus rien en vue, pas le moindre toit, pas une pointe de clocher qui me ferait espérer, rien. Cela fait bien trois ou quatre kilomètres que je mouline sur un braquet de montagne. Un nouveau croisement se présente et un nouveau panneau indicateur. Je suis bien dans la bonne direction. Je distingue maintenant une tour sur le haut de cette montagne arrondie. Ce ne peut être que là, il n’y a rien d’autre autour. J’y parviens enfin! Inutile de rechercher un tampon. Le seul disponible doit être celui de la mairie, mais un samedi soir, pensez donc. Même en semaine, il faudrait viser juste et y venir le jour d’ouverture du secrétariat. Alors, c’est la photo au panneau d’entrée qui validera mon passage à Toulx-Ste-Croix. Ici prend fin cette étape longue de 85 km avec les derniers tours de roue sur la route qui coupe en deux l’église du village. Curieux ! Le clocher fait face à l’église.
Evaux-les-Bains et St-Georges-Nigremont
On traine un peu au petit-déjeuner pour laisser au soleil le temps de gagner la partie qu’il dispute aux brumes matinales. Ce n’est qu’après 10 h sonnées que je me mets en route, ayant eu soin auparavant de m’équiper chaudement. Le thermomètre n’affiche que 6°C mais l’ardeur du soleil ne fait plus de doute. Quelques coins de ciel bleu déchirent le brouillard. Dans les champs, les vaches expulsent de la vapeur d’eau par leurs naseaux, comme de vraies locomotives à quatre pattes. Je suis bien dans mon coupe vent, le petit froid matinal ne m’atteint pas, d’autant que les ondulations du terrain me mettent à contribution. À Boussac, je croise ma route d’hier et continue vers le sud en direction d’Evaux-les-Bains mon prochain BPF.
Avant d’atteindre ce premier objectif, au terme d’une descente rafraichissante vers une vallée, je traverse Chambon-sur-Voueize. Je me rends directement à l’abbatiale Ste-Valérie qui fut autrefois un lieu de pèlerinage. Le bourg est accueillant avec ses très jolies maisons aux toits de tuiles brunes blotties autour de l’imposante église. À chaque coin de rue, le passé semble ressurgir, et quelques devantures rappellent ces métiers d’autrefois comme ce chapelier toujours en activité. Je me contente de la visite de l’abbatiale, un pur fleuron de l’art roman, avant de reprendre ma route vers Evaux-les-Bains.
L’arrêt m’a un peu refroidi, d’autant que je roule maintenant à l’ombre en suivant le cours de la Voueize. Midi n’est plus loin, Evaux-les-Bains non plus. Tout s’enchaine parfaitement et la pause repas s’effectuera dans la petite station thermale. J’abandonne le bord de la rivière pour entamer une ascension, régulière, pas trop pentue toutefois, mais qui s’accentue au fil des hectometers et tarde à dévoiler son sommet. Il y a bien un restaurant aux thermes de la petite station, mais pour cela, il faut emprunter une nouvelle route qui redescend. Voilà qui me satisfait, je commençais à avoir mal aux jambes. C’est en roue libre que je vogue vers une assiette que j’imagine déjà. Hélas, j’en resterai au stade du fantasme, la réalité est différente. Restaurant fermé, saison terminée. Conclusion, je dois remonter tout ce que j’ai béatement descendu, arriver au village, prendre la photo au panneau d’entrée pour entériner mon passage dans ce BPF et continuer la route, le ventre creux et le moral en berne. Par acquis de conscience, j’examine tous les panneaux indiquant directions, commerces et autres informations. Une crêperie est indiquée. Parbleu, je me satisferais bien d’une crêpe si toutefois ce restaurant est ouvert dans ce bourg endormi. Et il existe, bien caché, dans un retrait de la rue principale, non loin de l’église, et il est… ouvert ! Moment sympathique dans ce désert dominical. Petite salle dans un décor typiquement savoyard, la Bretagne et la Savoie proposées sur la carte des menus. Une crêpe et une coupe colonel ont tôt fait de me requinquer et me rendre un moral à vaincre la campagne creusoise, mon carton BPF tamponné.
Avant de remonter en selle, une visite s’impose à l’abbatiale St-Pierre-St-Paul, l’église toute proche. Une fois encore, c’est un voyage dans le temps, un retour en arrière de mille ans. Si les pierres pouvaient parler, notre vie s’en trouverait bien étriquée. C’est une sentiment de respect, et pas seulement spirituel, mais envers le passé et les vies qui nous ont précédés et qui demeurent vivantes au-delà du néant par le témoignage architectural qui nous est légué. Et maintenant, j’ai devant moi tout un après-midi pour atteindre St-Georges-Nigremont, une localité totalement inconnue de la France entière, hormis les chasseurs de BPF et le journal télévisé de Jean-Pierre Pernaut. J’ai pour repères deux villages qui orientent ma direction, Auzances et Sermur. Normalement, c’est tout droit. Alors je pédale, toujours tout droit, l’esprit vagabond et l’oeil contemplatif. Oh, ce n’est pas la beauté des paysages qui suscite l’intérêt, ce sont juste des impressions, des images fugitives, souvent les mêmes, qui donnent d’une région une certaine vision. Je sais, BPF oblige, que j’évolue dans l’ancienne province de la Marche, zone intermédiaire entre deux autres régions, et je sais aussi qu’actuellement je roule sur le territoire de la Combraille, terroir que j’ai côtoyé l‘an dernier, dans le Puy-de- Dôme voisin, lors d’un pointage aux Ancizes-Comps. J’y retrouve ce relief de basse montagne, ces troupeaux de vaches à la robe blanche, ces fermes disséminées et cette impression de vie rustique et parfois même retirée.
À Sermur, j’ai bien avancé, et pour une dizaine de kilomètres encore, ma route reste sans surprise, toujours droit devant. Ce n’est qu’après avoir coupé la nationale reliant Clermont- Ferrand à Aubusson que le tracé devient plus périlleux, naviguant dans un lacis de routes secondaires. Comme hier, je commence à avoir le couple bielles-moteur qui fatigue, d’autant qu’un vent contrariant me fait des misères et que le compteur va bientôt sauter les 100 km. À Pontcharraud, je trouve un couple qui a dû inspirer Jacques Brel (le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter). À petits pas, bras dessus bras dessous ils promènent en couple leur solitude dominicale. Ils ont les yeux larmoyants, peut être le vent, et sont touchants de gentillesse. Lui me renseigne sur la route à suivre, non sans humour. Elle lui tient le bras avec un sourire bienveillant de petite vieille. Malicieusement, il me laisse le choix. « Pour aller à St-Georges-Nigremont, le plus court c’est par là, mais il faut aimer les côtes, sinon vous restez sur la route de Guéret et au bout de la côte c’est à gauche. Mais c’est plus long, » ajoute-t-il avec un petit rire. Finalement, je crois que le muscat du dimanche leur fait encore effet. Ce qu’il ne m’a pas précisé, c’est que la côte déroule allègrement ses trois kilomètres. En haut, enfin, une indication! Je suis presque au but, je traverse une forêt de feuillus et de résineux, entre l’ombre et le soleil déclinant, dans un état de sérénité parfaite. Rouler ici à cette heure précise devrait être considéré comme un remède anti stress. J’arrive finalement à St-Georges-Nigremont, non sans avoir gravi une dernière côte à travers des jardins en terrasse, véritables trésors de maçonnerie en pierre sèche. Évidemment, il n’y a personne dans le village. Nous sommes sur le sommet d’un mont avec un panorama à 180° qui invite à la contemplation silencieuse sur la campagne creusoise et auvergnate. Le bourg se limite à une poignée de bâtisses, l’église, la mairie, une crêperie (fermée bien sûr) et une maison tout en pierre sur laquelle subsiste l’enseigne d’un café.
Je m’approche de cette dernière. Derrière le carreau, j’aperçois une dame âgée en plein travaux de couture. J’essaie d’attirer son attention mais en vain. Je m’éloigne et c’est alors qu’elle sort pour entamer une conversation un peu débridée. Elle est apparemment heureuse de trouver quelqu’un avec qui parler, nous devons être la seule distraction de ce dimanche. Mais en même temps elle nous répète en boucle combien elle est malheureuse de ne pas avoir le tampon pour valider ma carte. Autrefois, je l’avais nous dit-elle, du temps où le café vivait encore, et elle enchaîne, « que je suis malheureuse quand je vois des pauvres cyclistes comme vous et que je n’ai pas le tampon. Dites leur que je veux bien l’avoir, qu’ils m’en donnent un. Je voudrais tant vous rendre service. » La conversation s’éternise quand soudain apparait son mari, sortant d’une remise voisine où il fendait du bois. Il nous fait comprendre qu’Alzheimer s’est invité dans leur foyer. Et la conversation reprend avec lui, cette fois lucide et poignante. « J’ai 94 ans, j’étais instituteur, le dernier du village. » Et il continue, « quand on parle de la ruralité monsieur, vous le voyez, ce sont des jolis mots, des promesses, mais nous ici, nous y sommes, et tout se meurt, personne nous aide… ».
Ce soir, on dort à Aubusson, un nom prestigieux associé aux célèbres tapisseries. L’hôtel de France où on descend se targue d’une liste impressionnante de personnalités ayant fait étape dans l’établissement. C’est très correct, côté cour, avec une cuisine soignée, mais côté jardin, notre chambre donne sur un environnement sordide. C’est malheureusement l’impression que nous avons ressentie lors d’une promenade digestive et nocturne, dans des rues même pas éclairées, bordées de maisons fermées, de façades décrépites, donnant l’image d’une souspréfecture sinistrée. On comprend alors tous les efforts qui sont déployés pour attirer certaines professions en voie d’extinction dans certaines zones rurales.
Texte et photos : René BALDELLON – CC Vias.