N° 10 – Mars 2013
Petite histoire des départements français
Notre petit monde cyclo devrait avoir de temps en temps une pensée émue pour M. d’Argenson qui, dès 1765, proposa la division de la France en départements. Son idée fut reprise par l’Assemblée Constituante, qui, tout d’abord, au nom de l’égalité, voulut appliquer aux territoires des départements le principe d’une superficie rigoureusement identique. L’article du Comité de Constitution prévoyait donc » La distribution de la France en 80 départements de 324 lieues carrées chacun ».
Trop parfait, trop systématique – ce qui prouve que les technocrates existaient longtemps avant qu’on eût songé à les baptiser ainsi- ce plan fit l’objet de nombreuses critiques. M. Brion de la Tour, entre autres, ingénieur géographe du Roy, fit remarquer que « Il est peut être utile d’observer que les limites posées par la nature, telles que les fleuves et les chaînes de montagnes qui partagent le royaume en quatorze principaux bassins, plus ou moins grands, devraient exclure toutes divisions symétriquement compassées (comprenez : mesurées avec le compas) ou à peu près égales ».
Le bon sens l’emporta, et le 26 février 1790, les députés révolutionnaires divisèrent la France en 83 morceaux définitifs.
La grande farandole des changements pouvait commencer.
Le choix des noms fut une vaste foire d’empoigne dans laquelle Gaultier de Biauzat, le député de Clermont, se fit particulièrement remarquer. Il s’alarma du nom qu’avait choisi l’Assemblée, « les Monts d’Or », pour son département craignant que cette trop riche appellation n’attire l’attention du fisc sur ses concitoyens. Il demanda donc le nom moins compromettant de Puy-de-Dôme et trouva cette amusante image « Dans ce pays, il est plus facile de peser l’air que des écus ». Argument imparable s’il en fut qui lui valut gain de cause. Finalement 13 départements eurent des noms de montagne, 4 de situation géographique et le reste de fleuves ou de rivières.
Ces choix irrévocables durèrent peu et, dès 1791, la Mayenne-et-Loire devient le Maine-et- Loire. En 1793, cinq départements de plus furent créés à commencer par le Vaucluse, suite au rattachement volontaire d’Avignon (qui appartenait au Pape), à la France. Suivirent deux départements en Corse, le Golo et la Liamone, puis le Mont-Blanc (qui couvrait les deux Savoie actuelles), et le Mont-Terrible (réparti entre le Doubs et le Haut-Rhin) dont le chef lieu était Porrentruy, en Suisse de nos jours. Enfin, suite à la révolte des nobles lyonnais et de la terrible répression qui s’ensuivit, le Rhône et la Loire remplacèrent le Rhône-et-Loire « coupé » en deux. La Loire, jacobine, récupérant la plus grosse partie de ce partage explique que, de nos jours, le Rhône reste un des plus petits départements français. La Gironde, elle, fut rebaptisée, très provisoirement, Bec-d’Ambès, pour la punir d’avoir porté le nom des Girondins qui venaient d’être guillotinés.
La république étendant son territoire, la France s’enrichit de 9 nouveaux arrivants en 1795, nés en Belgique (la Lys, l’Escaut, Jemmapes, les Deux-Nèthes, la Dyle, la Meuse-Inférieure, l’Ourthe, la Sambre-et-Meuse) et au Luxembourg (qui devient le département des Forêts). Mis en appétit, le Directoire poussa ses frontières naturelles sur le Rhin et ajouta la Sarre, le Rhinet- Moselle, le Mont-Tonnerre et le Roër vers l’Allemagne et le Léman, en Suisse, en 1798.
A peine le temps de digérer ces nouvelles conquêtes et voici Napoléon et son ambition. Dès 1802, il agrandit la France du côté italien, par la Doire, la Sésia, le Po, la Stura et, gloire oblige, le Marengo. Il arrondit son Empire nouveau-né, toujours en Italie, par le Montenotte (sa première victoire), Gênes et les Apennins en 1805. En 1808, voici l’Arno, la Méditerranée, l’Ombrone et le Tarot.
La ville de Montauban est-elle jalouse de toutes ces nouveautés? En tout cas, cette même année, on revient en métropole pour saluer la création du Tarn-et-Garonne aux dépens des départements voisins.
Puis ce sont deux années folles qui voient la naissance de seize petits nouveaux, aux Pays Bas, en Italie, en Suisse, et en Allemagne. Malgré la disparition du Golo et de la Liamone, réunis en une seule Corse, la France atteint le nombre faramineux de 130 départements s’étendant depuis Hambourg jusqu’à Rome.
L’Empire et son géniteur s’effondrent, la France est ramenée à 87 départements en 1814. L’Empereur joue les prolongations sur le terrain de Waterloo, et notre pays se voit privé du département du Mont-Blanc (plus quelques modifications de frontière) l’année suivante.
Napoléon III fera revenir la belle Savoie dans le giron de notre pays en 1860, suite à ses campagnes d’Italie, quand les habitants, par référendum, demanderont à redevenir Français. Mais l’ancien Mont-Blanc, quel joli nom pourtant, est partagé en deux : Savoie et Haute Savoie, ce qui en fait les deux seuls départements français à avoir conservé le nom de leur province d’origine.
Les Niçois ayant exprimé le même voeu que les Savoyards, le Comté-de-Nice se transforma en Alpes-Maritimes. Mais sa superficie étant vraiment trop petite pour mériter le nom de département, on piqua une partie du Var voisin pour arrondir l’étendue du nouveau venu. Manque de chance, dans la partie annexée se promenait en entier le fleuve qui lui donnait son nom. C’est pourquoi le Var est, de nos jours, le seul département à ne pas avoir dans ses frontières l’entité géographique qui lui a donné son appellation.
Mais la folie des hommes allait encore modifier la géographie française. Vinrent la guerre, et la défaite de 1870 avec, pour conséquences, la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine annexées par l’empire allemand. Adieu le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle partis en Germanie pour 48 ans. On ajouta les lambeaux qui restaient de la Moselle au département voisin de la Meurthe, créant ainsi la Meurthe-et-Moselle. Par ailleurs, sous l’impulsion de Denfert-Rochereau, la ville de Belfort (dans le Haut Rhin) n’était pas tombée aux mains des Prussiens; elle resta donc française et, plutôt que de la joindre au Doubs, on créa le Territoire de Belfort.
La fin de la grande guerre 14-18 vit le retour des provinces annexées. Des habitudes avaient été prises, et les trois départements retrouvés vinrent s’ajouter, en l’état, aux 87 déjà existants.
L’année 1947 vécut le dernier agrandissement du territoire métropolitain. En effet, la France récupéra (pour les joindre aux Alpes-Maritimes), les territoires de La Brigue et de Tende aux dépens de l’Italie. Ces deux communes avaient été laissées, après le référendum de 1860, au roi Victor-Emmanuel car ce souverain y possédait des biens et des terres de chasse. En 1945, l’Italie ayant été défaite, la France rectifia un peu ses frontières ce qui vaut à notre pays deux beaux villages de montagne.
Un autre changement avait eu lieu pendant la guerre, la Charente, fatiguée d’être Inférieure, devint Maritime en 1941. L’exemple était donné, plus d’Inférieures ou de Basses. En 1955 naît la Seine- Maritime, en 1957 la Loire- Atlantique, en 1969 les Pyrénées- Atlantiques, en 1970 les Alpes-de- Haute-Provence. Les Bretons des Côtes-du-Nord, lassés d’être imaginés près de Dunkerque, deviennent, en 1990, les habitants des Côtes-d’Armor. Seuls, de nos jours, les Alsaciens acceptent encore, malgré les risques de confusion anatomique, d’habiter un département qui se nomme le Bas-Rhin. Mais pour combien de temps ?
Quelques démangeaisons ont encore remué notre vieil hexagone ces dernières années. En 1967, le Rhône s’agrandit de 23 communes de l’Isère et de 6 de l’Ain avant que Lyon ne devienne un département à lui tout seul. En 1968, création de la couronne parisienne en sept départements en supprimant la Seine et la Seine-et-Oise. Enfin, en 1975, la Corse est redécoupée en deux parties : Corse-du-Nord et Corse-du-Sud, noms que je trouve bien moins jolis que les Liamone et Golo de la Révolution.
Deux cents ans ont passé et s’il semble que les seules modifications que peut encore subir notre territoire de nos jours se limitent à certains changements de nom (ne parle-t-on pas d’un « Pays Basque », d’une « Catalogne »), qui peuvent se révéler plus ou moins anecdotiques à long terme, ou à certaines fusions nées, c’est plus grave, de la désertification des campagnes. Mais il paraît bien révolu le temps des amputations ou des greffes liées à la guerre. Cette conclusion là, nous aimerions qu’elle soit définitive pour le plus grand bonheur du plus beau pays du monde et de ses habitants : la France.
Michel JONQUET, GC Nîmois, Lauréat N° 414.